Densité du geste
Densité du geste
Les moyens technologiques modernes ont transformés les pratiques artistiques. Le jeu musical est questionné par la particularité de créer une rupture dans le rapport causal entre le geste instrumental et le son produit.
Si tout auditeur trouve naturel que le violoniste frotte son archet pour produire un phrasé continu alors qu’il pince la corde pour obtenir un pizz, qu’en est il du poids des doigts d’un pianiste (à visibilité très restreinte) geste pourtant essentiel pour faire ressortir une polyphonie de Bach ? Que signifie pour lui les nouveaux gestes de la musique électronique alors qu’un même mouvement peut «faire sonner» radicalement différemment ?
La gestualité d’un instrument numérique, le prolongement électronique des instruments acoustiques sont des nouvelles « stratégies d’expression de l’interaction instrumentale » qui traversent le parcours des compositeurs contemporains et interrogent leur écriture.
Densité du Geste met en jeu différentes pensées de créateurs d’aujourd’hui questionnant ce duo interprète/ auditeur.
Les pièces au programme demandent une puissante mobilisation du corps des interprètes ; ces gestes instrumentaux nouveaux, interroge des postures mais aussi des conditions mentales.
Dynamique, poids, épaisseur, couleur, durée, rythmique, silence, fragments, éclats sonores, accentuation, trilles, fragmentation, articulation dramatique du son et du silence, une gestuelle comme une sorte de théâtre pas tant visuel mais plutôt mental ; une dimension physique ou f(r)ictionnelle ?
On pourrait au fond penser que le geste devient métaphore du son ?
le programme
"Dédale" de Manon Lepauvre
Violon, violoncelle, karlax, sextuor de violoncelle (second cycle) et électronique.
La pièce emprunte un double sens, celui du personnage de la mythologie doté d’un immense talent pour l’invention et la fabrication d’objets que pourraient être les instruments qui forment l’ensemble, mais également un lieu où l’on risque de se perdre en détours.
C’est cette idée du double que Manon souhaite travailler dans la pièce : un ensemble de musiciens professionnels devant lequel évolue son reflet, incarné par les 6 étudiants en violoncelle, comme autant de doubles perdus dans le dédale des couleurs sonores.
Les relations se tissent en plans sonores superposés comme un seul instrument, ou au contraire se fragmentent en atomisations spectrales perturbatrices.
Duos accompagnés et orchestrés par les autres instruments, solos où l’instrument semble prolongé par les autres musiciens comme un traitement électronique, doublures électroniques pour fortifier un timbre caractéristique : autant de stratégies compositionnelles créant un labyrinthe des émotions, un méandre des perceptions.
La temporalité varie à chaque partie. Le temps peut être statique, la pulsation peut être fractionnée ou régulière, la saturation peut également créer la sensation d’un temps arrêté. De façon plus globale on percevra une grande forme qui ira en augmentation jusqu’à un climax excessif pour revenir tardivement à une conclusion apaisée.
Aide à l’écriture d’une œuvre musicale originale du Ministère de la Culture Français 2023
"Le patch bien tempéré 3" de Tom Mays
Flûte, karlax et électronique.
Commande La Grande Fabrique
« Le patch bien tempéré III » de Tom Mays, duo pour flûte, karlax et électronique s’inscrit dans une série de pièces pour instruments et transformations audio-numériques en temps réel. Chacune des pièces en général solistes, exploite un patch informatique particulier dont la « dominante » est choisi pour son lien particulier avec l’instrument acoustique. (vibraphone et délai, saxophone et modulation en anneau,…). La flûte en ut est ici associée à un patch d’harmoniseurs. Le karlax, qui lui répond, commande un moteur de synthèse pensé comme un instrument autonome dans sa génération de notes et de textures. L’esprit en est atonal, dominé par l’harmonie plutôt que le timbre, par le phrasé plutôt que la masse.
Tom Mays
"Di rive e di corsi d'acqua" de Michele Tadini
Flûte, violoncelle, wiimotes et électronique.
Commande INA-GRM et La Grande Fabrique
Le parcours compositionnel de cette pièce part directement de l’effectif instrumental : un trio électroacoustique dans lequel chaque exécutant commande de manière indépendante son ordinateur. Grâce à des analyses de fréquence et d’amplitude, la flûte et le violoncelle contrôlent de manière autonome leur son électronique : un redoublement instrumental, un cours d’eau multiplié par la force de ses affluents, multiples et similaires.
La wiimote, troisième instrument du trio, joue en temps réel avec les autres une écriture de musique de chambre très articulée – sur le rivage, la wiimote est observatrice et gèle parfois des instants du flux musical qui coule devant elle.
Le flux et l’instant, présents en même temps, l’un à l’écoute de l’autre, font entendre leurs propres dialogues via une duperie acoustique rendu possible grâce au paradoxe temporel de la programmation informatique.
Michele Tadini
Développement informatique Max/MSP Tom Mays
Commande de l’INA-GRM/RadioFrance et de La Grande Fabrique-Dieppe
"Fogg" de Lorenzo Bianchi Hoesh
Violon, violoncelle, karlax et électronique.
Commande INA-GRM
La musique est un hommage au son et au voyage ; le son, dans une conception proche de celle que Tristan Murail définit comme “harmonie fréquentielle” qui anime toute la pièce et le voyage par une dédicace dans le titre au chef d’oeuvre de Jules Verne.
Divisée en trois parties, la pièce se base sur une analyse du spectre de cinq pizz de violoncelle (préparé avec des morceaux de métal sur les cordes).
Violon et Violoncelle sont traités en temps réel de façon que le son traité soit perçu comme très lié et fortement dépendant de l’instrument acoustique. Le travail sur le timbre au niveau de l’électronique des instruments est minutieux, mais expressément minimal, pour garder un « tout » acoustique capable de dialoguer avec le karlax et son synthétiseur spectral.
Un début consacré totalement aux transitoires d’attaque et un final en contre-emploi évident par rapport aux premiers dix minutes de la pièce, ajoutent une certaine complexité et remettent en discussion les rapports internes entre les éléments.
Lorenzo Bianchi Hoesch.
Développement informatique Max/MSP Lorenzo Bianchi
"Frottement, bourdon, craquement" de Francis Faber
Violoncelle, karlax et électronique.
Commande La Grande Fabrique
Directement inspirée d’émotions sonores du frottement des cordes, les sonorités de la pièce mêlent des sons de violoncelle tantôt « bruité » tantôt rêveur, à des sonorités électroniques issues d’un violoncelle « capté à la loupe ». Le vocabulaire mélodique puise ponctuellement dans des sonorités extra-occidentales ou des modes de jeux de vielle à roue. Le karlax et l’hyper-violoncelle s’affrontent souvent dans des phrasés complexes ; ils s’observent aussi parfois galamment en étirant le temps.
La construction de la pièce fait alterner plusieurs moments variés, où se retrouvent régulièrement en différentes « mises en scène » des leitmotivs simples.
Francis Faber
Développement informatique Max/MSP Mathieu Constans
"Discontinuous Devices" de Michele Tadini
Pour Violoncelle, karlax et électronique.
Commande La Grande Fabrique
» Les deux premières créations pour l’ensemble jouaient dans des univers mélodiques plutôt doux ; ce duo développe un univers beaucoup plus bruité dans une thématique compositionnelle (récurrente dans le jeu électronique) interrogeant le rapport de cause à effets, de correspondance entre actions-gestes-phrasés et leurs résultats audibles. L’évolution de l’ampleur du geste au karlax est très corrélée aux résultats sonores induisant une forme en expansion, depuis des petits sons aux pistons acoustiques amplifiés soutenus par une synthèse granulaire, puis des gestes rotations, jusqu’à de grands phrasés avec des gestuelles en accélérations et arrêt brusques.
L’univers sonore est concret « In beetween » des phrasés alla Lachermann jusqu’à une expression rythmique plus pulsée. «
Michele Tadini
"Ripples never come back" de Michele Tadini
Violon, violoncelle, karlax et électronique.
Commande Studio Art Zoyd et La Grande Fabrique
Ripples signifie vaguelettes, ondulations (dans le titre il y a une référence directe à une pièce de Genesis – dans la partition aussi mais un petit plus cachée dans les arpèges et dans une sorte de mélodie faite par des notes sans attaques).
Comme un caillou tombant dans l’eau communique son énergie (dans la partition les premiers pizzicato des cordes) et provoque des irradiations circulaires autour du centre, dans la partition, l’écriture se développe selon ces principes.
L’objet musical (le pizz) jeté à la fois dans les traitements électroniques et dans le processus compositionnel, progresse vers une complexification en provoquant ses propres irradiations, ses propres transferts d’énergie.
L’énergie se libère au moment de la « prise d’autonomie » des vagues, transformées en arpèges dans la partie du karlax – partie qui va conduire la pièce jusqu’à sa fin en pianissimo, avec un sorte de polyrythmie entre une valse cachée et des groupes rythmiques binaires.
Les vagues ne reviennent jamais, elles se transforment, se développent ; elles se libèrent.
Michele Tadini
"La fragilité est une constante fluide" de Michel Pascal
Duo pour violon, violoncelle et électronique
Aide à l’écriture d’une oeuvre musical originale
du ministère de la culture français 2021
Une musique en prise avec la notion d’assèchement. Des matières riches issues de frottements d’archet se transforment et s’évaporent. De l’épaisseur vue à la loupe de ces frottements naissent quantités de petits éléments à hauteurs chantables: des fragments de modes, des intervalles, des embryons d’harmonies flottantes, des scintillements, des émergences… Certains modes s’enroulent en rubans comme des fragments d’ADN. Métaphore d’une vie émergeant de grouillements au creux des interstices de la matière inerte. Mais depuis l’anthropocène, avec la domestication, puis le pillage de la matière par l’être humain, avec son raffinement irraisonné des ressources brutes pour en extraire des éléments à la symétrie plus simple comme cristaux et plastiques, la Croissance comme seule déesse nous précipite vers un dangereux appauvrissement de la vie. Ce qui grouillait dans l’épaisseur des humus, qui colonisait tant de niches fluides s’assèche désormais à grande vitesse et nous rappelle à notre fragilité. La lente métamorphose des frottements se dissipe ainsi en intervalles plus familiers, mais semble conduire inexorablement au désert.
Michel Pascal
Les Vidéos
Dédale de Manon Lepauvre
Extrait pour violon, karlax, violoncelle et sextuor de violoncelle amateur
Fogg de Lorenzo Bianchi Hoesh.
Extrait pour violon, violoncelle, karlax et électronique
La fragilité est une constante fluide de Michel Pascal.
Duo pour violon, violoncelle et électronique
Patch bien tempéré 3 de Tom Mays.
Extrait pour flûte, karlax et électronique
Di rive di corsi d’aqua de Michele Tadini.
Extrait pour flûte, violoncelle, wiimotes et électronique
Ripples never come back de Michele Tadini.
Extrait pour violon, violoncelle, karlax et électronique
Frottement,Bourdon et craquement de Francis Faber.
Extrait pour violoncelle, karlax et électronique
Les compositeurs – trices
Les compositeurs qui accompagnent l’ensemble Fabrique Nomade sont connus
pour leur talent d’écriture acoustique mais aussi pour une réflexion personnelle
sur le geste instrumental électronique du XXIe siècle.
Lorenzo Bianchi hoesh
Il aborde la composition électronique et mixte sous plusieurs aspects centrés sur la relation son/geste/espace.
Il a reçu des commandes de nombreuses institutions : INA-GRM, Biennale di Venezia, Opéra de Göteborg, Ballet National de Marseille, Festival Sant’Arcangelo, Roma Europe, Ater Balletto Rhur Triennale… et il a joué un peu partout en Europe, au Japon, en Indonésie, aux Etats-Unis. Ses productions vont de la composition instrumentale avec électronique en temps réel, aux installations audio et vidéo, de compositions pour le théâtre, la danse et le cinéma, jusqu’à l’improvisation libre en solo ou avec d’autres musiciens (Marc Nammour, Balaké Sissoko, …). Pédagogue à l’Université de Franche-Comté et au Conservatoire de Montbéliard, il collabore aussi, en temps que freelance, avec l’Ircam.
Manon Lepauvre
Manon Lepauvre commence son voyage musical par la pratique de la flûte traversière. Elle intègre en 2012 la classe de composition de Marco Suarez et poursuit sa formation de compositrice avec Martin Matalon puis au Conservatoire National Supérieur de Lyon et de Paris avec Frédéric Durieux. Depuis 2019, elle reçoit des commandes de la part des ensembles K/D/M, Sillages, Multilatérale, Écoute, 2E2M, Le Concert Impromptu, le Quatuor Aeolina …
En parallèle elle enseigne l’éveil musical pour les enfants de moins de 6 ans dans une école associative. Elle attache un intérêt particulier à la transmission de la musique contemporaine pour le jeune public, elle a écrit trois spectacles pour enfants et est bénéficiaire de l’aide à l’écriture de la DRAC Ile de France pour son spectacle
« La Morsure de la Limace » avec le Concert Impromptu. Elle bénéficie de la bourse des aides au projets de le Fondation Société Générale.
Tom Mays
Compositeur et improvisateur, musiques numériques et mixtes, dispositifs temps réel, supports électroacoustiques, contrôleurs gestuels et nouvelles lutheries – pour solistes et ensembles tels Fabrique Nomade, Voix de Stras’ et les Percussions de Strasbourg. Enseignant et chercheur, responsable de la classe de Création électroacoustique à l’Académie supérieure de musique à Strasbourg, et très actif dans le milieu de l’informatique musicale – publications, conférences, séminaires, master class et ateliers. Il travaille avec institutions telles l’IRCAM, CNSMD de Paris, CNCM Césaré, La Muse en Circuit, New York University… Chercheur associé au centre de recherche CREAA à l’Univ. de Strasbourg.
Michel Pascal
Compositeur, claviériste et pédagogue, il compose sur des territoires variés notamment de la musique mixte avec un esprit « d’acousmatique instrumentale ». Après ses études au CNSMD de Paris, il rejoint le CIRM – Nice où il assistera de nombreux compositeurs dont notamment Jean Etienne Marie, Michel Redolfi,
Luciano Berio, Robert Ashley.
Il participe au Studio Instrumental, afin de développer de nouvelles relations entre le geste du musicien et le son qu’il joue, fusionnant les potentiels des instruments acoustiques aux lutheries électroniques. Claviériste, il a joué dans des esthétiques variées avec nombre de musiciens de Claude Crousier à Barre Phillips.
Michel Pascal enseigne aussi la composition électroacoustique au Conservatoire de Nice- Université Côte d’Azur.
Michele Tadini
Compositeur, professeur de composition (Musique Mixte) au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Il est diplômé du Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan : en guitare dans la classe de Ruggero Chiesa, en composition dans la classe de Sandro Gorli et Giacomo Manzoni et en musique électronique dans la classe de Riccardo Sinigaglia. Il suit les cours de Franco Donatoni à la Scuola Civica de Milan et à l’Accademia Chigiana de Sienne où il obtient en 1989, le « Certificat de mérite ». En 1998, il suit le stage à l’IRCAM.
Il a co-dirigé (avec Luca Francesconi) Agonacustica informatica musica, un centre de recherche et de production basé à Milan avec lequel il est toujours impliqué dans plusieurs projets en tant que compositeur et directeur artistique, il a co-dirigé Centro Tempo Reale a Firenze et il a dirigé la section de musique contemporaine IRMus à la « Civica Scuola di Musica Claudio Abbado » de Milan.
Sa musique a été jouée dans de nombreux festivals à travers le monde, en Europe notamment en France et en Italie, aux États-Unis et en Amérique latine, au Canada et au Japon. Il a remporté de nombreux prix dont le Prix Italie 2008 avec l’opéra radiophonique « La Musica Nascosta » et le Prix ARTS 2011 (Art, Recherche, Technologie, Science), avec le projet « La Terza Luce ».
Michele Tadini compose pour le théâtre, la danse, la vidéo, les installations interactives, la radio, la télévision et le cinéma. Parmi ses créations les plus célèbres « In a Blink of a Night » pour 100 guitares électriques, basses, batterie et guitare solo, « Don Giovanni a Venezia, Opera labirinto » Kirkìas, production vidéo, « Distanza di sicurezza » – vidéo de danse et « Le nuove, mirabolanti avventure di Walter Ego « en collaboration avec Claudio Bisio.
En collaboration avec Andrée Ruth Shammah et le Teatro Franco Parenti, il a à son actif de nombreux spectacles dont il a composé la musique.
Il est important de mentionner sa dernière collaboration dans la relance du projet ORFEO de Luciano Berio, avec la création de la partie électronique et direction sonore (Cité de la Musique – Philharmonie de Paris)
Les mots du public
On voit votre complicité, c’est rare pour cette musique…
« Super » comme on le dirait d’un concert de Jazz…
Émotion, complicité, nouveaux territoires…
« Vraie » musique, beauté électronique « charnelisée »…
Peu enthousiaste à la musique contemporaine, j’y allais un peu à reculons, mais j’ai été séduite…
On sent avec vous qu’on a passé la vieille époque de la musique électronique…
Travail d’ensemble qui nous change des formules anciennes…
Un concert très émouvant et touchant…
Merci pour ce moment hors du temps, sur une planète inconnue…